Quand la phobie d’être malade gâche des années de vie

Marwa Mourad Samedi 23 Janvier 2021-18:24:59 Chronique et Analyse
Quand la phobie d’être malade gâche des années de vie
Quand la phobie d’être malade gâche des années de vie

Nous avons tous peur de tomber malades, mais certains sont obsédés par cette idée. Ils souffrent d’hypocondrie, un mal souvent incompris par l’entourage. Avoir peur d’être atteint d’un cancer, de faire une crise cardiaque ou de développer une maladie grave… Certains sont angoissés à l’idée d’être malade ou de le devenir, même sans en présenter les symptômes. Quand cette angoisse vire à l’obsession, on parle d’hypocondrie. De quoi s’agit-il exactement ? Comment la soigner ? On fait le point.

 

 

 

Sur Internet, en particulier sur les forums, fleurissent des centaines de récits similaires : ceux de personnes en parfaite santé mais qui ne peuvent s’empêcher de se croire atteints de maux divers et développent une peur panique des maladies.

« La maladie, ma chère maladie, que serais-je sans toi ?” s’interroge le malade imaginaire de Molière. En réalité, il souffre d’une inquiétude obsessionnelle et injustifiée pour sa santé, qui persiste malgré les propos rassurants des médecins et l’absence totale d’atteinte physiologique décelable. En un mot, l’hypocondrie.

Dans l’hypocondrie majeure, explique le psychiatre Bernard Brusset, « la personne réduit son identité à sa maladie, qui devient un objet d’amour et de haine. C’est une pathologie du narcissisme, un repli sur soi complet. On s’approche des mécanismes de la paranoïa, mais là le sujet est persécuté par un organe considéré comme anormal ». Heureusement, les préoccupations hypocondriaques sont souvent plus proches des névroses et de la dépression. C’est une manière de "figurer" l’angoisse, de la lier, car un danger repérable et localisé comme un cancer est plus supportable qu’un danger permanent, diffus. Il faut distinguer également l’hypocondrie transitoire, une crainte passagère qui peut suivre le décès d’un proche ou une émission sur le sida, ainsi que les peurs qui se développent après une maladie grave réelle, stabilisée, mais dont on craint une récidive.

Selon les psychiatres, l’hypocondrie a une origine psychodynamique. Souvent, les personnes qui en souffrent ont connu des carences affectives précoces, un deuil, une séparation. D’autres ont eu des parents qui les emmenaient chez le médecin au moindre bobo, engendrant un sentiment de vulnérabilité et d’insécurité à l’égard de leur corps.

Pour certains psychanalystes, elle découle d’un manque d’estime de soi. La maladie, forme acceptable de l’échec, vient masquer un profond sentiment d’impuissance, de nullité. Les angoisses hypocondriaques sont d’ailleurs assez fréquentes à l’adolescence et à la ménopause, car ces périodes provoquent une profonde remise en cause de l’image de soi. Les thérapeutes familiaux, eux, considèrent l’hypocondriaque comme le porteur des symptômes, celui sur qui les autres membres de la famille reportent leur stress.

Quant à Michèle Freud, psychothérapeute et sophrologue, « la souffrance hypocondriaque est due aux exigences de la vie quotidienne. C’est une phobie à laquelle des manifestations corporelles viennent s’ajouter : palpitations, douleurs musculaires et attaque de panique sont alors dues au surcroît de l’activation du système nerveux autonome, c’est-à-dire le stress ».

 

Une véritable pathologie

Loin d’être anodine, cette peur d’être malade ou de le devenir est, lorsqu’elle tourne à l’obsession, une véritable pathologie : on parle alors d’hypocondrie, dont l’étymologie signifie "sous" (hypo) et "cartilage des côtes" (khondros). "On parle d'un problème d'hypocondrie lorsque la personne n'arrive pas à se rassurer sur son état de santé. À la différence des anxieux, les hypocondriaques ne parviennent pas à apaiser les inquiétudes qu'ils ont en eux, même après une ou plusieurs visites chez le médecin. De plus, même lorsque leurs symptômes ne correspondent pas à des recherches sur Internet et qu'ils sont en bonne santé, les doutes persistent et reviennent très vite. C'est une forme d'anxiété dans laquelle le patient craint toujours d'être malade ou contaminé par les autres", nous expliquait le Pr Antoine Pelissolo, psychiatre à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil).

Des réels risques pour le cœur

Si les hypocondriaques craignent pour leur santé, cela ne signifie pas forcément qu’ils passent leur vie chez le médecin. Au contraire, par peur d’un mauvais diagnostic, nombreux sont ceux qui préfèrent se tenir éloignés des cabinets médicaux, quitte à repousser des examens qui s’avèrent nécessaires. "Cela peut faire repousser le dépistage, même lorsqu'il est nécessaire. Dans ce cas, c'est très problématique. Et chez ces patients, l'hypocondrie, ou l'anxiété, est associée à une phobie, celle des maladies et la peur de les attraper. C'est aussi une des raisons pour laquelle le patient ne sort pas, il préfère vivre reclus chez lui. Chez ces cas extrêmes, l'hypocondrie est inhibitrice, et maintient le patient dans une attitude passive, loin de tous les cabinets médicaux", explique le Pr Pelissolo.

 

Surmonter son angoisse par la thérapie

Souvent tournée en dérision et minimisée, l’hypocondrie peut pourtant s’avérer extrêmement handicapante pour les personnes qui en souffrent. "Cette peur d’attraper des maladies graves s’est amplifiée par la suite. Elle a gâché onze ans de ma vie. Dès que j’avais un souci de santé, je m’inventais tous les maux du monde, consultant tous les sites Internet, tous les spécialistes du département, multipliant les examens…", raconte au Progrès Egyptien Mona Sayed, 44 ans.

Heureusement, l’hypocondrie n’est pas une fatalité. Lorsqu’elle est diagnostiquée chez un patient, celui-ci est généralement invité à suivre une thérapie cognitivo-comportementale. Il peut aussi bénéficier d’un suivi psychiatrique s’il s’agit d’une forme sévère d’hypocondrie. "Quand on met en place une thérapie, en général, on obtient de bons résultats chez les hypocondriaques. Mais ça demande un fort investissement de la part du patient. Plus on intervient vite, plus la durée de la guérison est courte. Concernant les médicaments, ils ne sont pas indiqués dans la cadre d'une hypocondrie. Si un médecin en prescrit, c'est qu'il y a une autre pathologie derrière. Soit une dépression, voire même des phobies !", rassure le Pr Pelissolo.

 

Témoignages…

 Fatma, 40 ans, professeur : “Aucun médecin ne parvient à me rassurer”

 « Tout a commencé quand mon cousin est mort à 38 ans d’un mélanome malin foudroyant. Depuis, j’ai peur de ne pas dépasser cet âge. Je suis toujours fatiguée, je souffre de fourmillements, de douleurs articulaires, de symptômes étranges et inexpliqués. J’ai consulté une vingtaine de spécialistes, fait des examens multiples. Mais aucun médecin, même s’il me dit “rien d’anormal”, ne parvient à me rassurer. Selon moi, s’ils ne décèlent rien, c’est parce que ma maladie n’en est qu’à son premier stade ou que le laboratoire a fait une erreur ! »

 

Mohamed, 36 ans, employée : “Depuis cinq ans, j’ai d’atroces migraines”

« La peur d’avoir une tumeur au cerveau m’empêche de travailler correctement, de profiter de mes loisirs, de ma famille. J’ai déjà écrit plusieurs testaments tant ma mort me semble imminente. Le plus souvent, ma douleur fait rire ou agace. On me prend carrément pour un égocentrique, un simulateur, et on me conseille de consulter un psychiatre ! C’est absurde. Je n’ai pas de problèmes psychologiques, je suis malade, physiquement ! »

  

Medhat, 45 ans, pharmacien : “Je suis fasciné par les virus inconnus”

« Je surveille attentivement ma santé. Je connais le “Vidal” par cœur ; je dévore revues et livres de médecine ; je suis assidûment les progrès de la recherche médicale, les nouveaux traitements et les dernières technologies. Surtout, je regarde toutes les émissions sur le sida ou la maladie de Kreutsfeld-Jacob. Car je suis fasciné par les syndromes rarissimes, les virus inconnus et foudroyants… Rien ne m’intéresse plus que le descriptifs des maladies rares ! ».

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